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L'écho des victimes

Petit journal pratique de droit médical, des victimes, du handicap et du préjudice corporel dont le crédo est " Mieux comprendre pour mieux se défendre" créé par Maître François LAMPIN, avocat spécialisé en droit du dommage corporel, 85 rue de la Tossée, 59200 Tourcoing ( 03 20 69 01 77), desurmont.lampin@carnot-juris.com

A propos de la décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 : vers une indemnisation intégrale des victimes d’accident du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur ?

Publié le 28 Août 2010 par François LAMPIN in victime d'accident du travail



La frontière entre les régimes d’indemnisation des victimes d’accident du travail et des victimes de droit commun ( accident de la circulation, infraction, responsabilité civile..) a  toujours été des plus hermétiques.

 

D’ailleurs, les termes de l’article L 451-1 du Code de la Sécurité sociale sont des plus explicites : «  aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés par le présent livre ne peut être exercé conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ».

 

Ainsi, en cas d’accident du travail, de trajet ou de maladie professionnelle, la victime ou ses ayants droit ne peuvent recevoir qu’une réparation forfaitaire de la sécurité sociale.

 

Pour les victimes, cette réparation peut prendre la forme d’un capital ou d’une rente calculée en fonction d’un taux d’incapacité lui-même défini par plusieurs paramètres ( âge, nature de la lésion, état général, facultés physiques et mentales, aptitude et qualification professionnelle) et divisé par deux si ce taux est inférieur à 50%.

 

Pour les ayant droits (et donc en cas d’accident mortel), cette réparation prendra la forme d’une rente correspondant à une fraction du salaire de la victime, rente dont le versement pourra être limité dans le temps ( notamment pour les enfants de la victime qui percevront une rente jusque l’âge limite de 20 ans).

 

Dans la plupart des cas, la victime d’un accident du travail n’obtiendra qu’une réparation complémentaire si la faute inexcusable de l’employeur est établie.

 

Ce n‘est que dans des cas spécifiques que cette victime bénéficiera d’une indemnisation intégrale .....

 

En d’autres termes, la victime d’un accident du travail imputable à la faute inexcusable de son employeur ne pourra pas réclamer que l’indemnisation des préjudices énumérés limitativement par le code de la sécurité sociale.

 

Cette différence de régime est choquante car l’indemnisation du préjudice doit être la même que l’on soit victime d’un accident du travail ou de la route, pourquoi réserver un sort moins favorable au salarié.....

 

Très récemment, le Conseil Constitutionnel a pris position sur ce sujet ( décision du 18 juin 2010 n°2010-8 QPC).

 

Sa décision pourrait être l’amorce d’un changement important dans la manière d’évaluer le préjudice des victimes d’accident du travail.

 

Afin d’apprécier l’étendue de ce changement espéré, faisons le point sur les régimes d’indemnisation des victimes d’accident du travail.

 

Nous  rappellerons le principe (I) puis les exceptions (II et III) avant d’envisager le cas des ayants droits (IV).

 

Enfin, nous reviendrons sur la décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010 qui permet de nourrir quelques espoirs (V).

 

 

 

I Le Principe : la faute inexcusable de l’employeur et la réparation complémentaire du préjudice de la victime

 

Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitué dans la direction, la victime ou ses ayants droit peuvent bénéficier « d’une indemnisation complémentaire. »

 

Cette « indemnisation complémentaire » comprendra :

-       une majoration de la rente ou du capital versé ( le capital versé par les tiers payeurs est multiplié par deux, tout comme le taux dI’PP pris pour calculer la rente)

-       l’indemnisation des souffrances physiques et morales endurées, du préjudice d’agrément et du préjudice esthétique

-       l’indemnisation de la perte de promotion professionnelle, si celle-ci est démontrée.

 

Cette liste de préjudice est limitative.

 

L’action en recherche de la faute inexcusable de l’employeur devra être exercée devant le

Tribunal des affaires de sécurité sociale.

 

Sous peine de prescription, l’action devra être enclenchée dans un délai de deux ans dont le point de départ est soit :

-       le jour de l’accident ou de la première constatation médicale de la maladie

-       le jour de la cessation d’activité

-       le jour de l’arrêt de paiement des indemnités journalières

-       le jour de la clôture de l’enquête menée par la CPAM

 

II La première Exception permettant une réparation intégrale de la victime : la faute intentionnelle de l’employeur ou de l’un de ses préposés, cause de l’accident

 

Si l’accident est dû à la faute intentionnelle de l’employeur ou de l’un de ses préposés, la victime ou ses ayants droit conserve contre l’auteur de l’accident le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles du droit commun dans la mesure où le préjudice n’est pas réparé par le versement de la rente ou du capital versé par la Sécurité sociale ( L 452-5 du code de la Sécurité sociale).

 

L’indemnisation se basera alors sur les différents postes de préjudice énumérés par la nomenclature DINTILHAC.

 

Récemment, la Cour de cassation a précisé que les dispositions propres à l’indemnisation des victimes d’infraction (recours à la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions) étaient applicables aux victimes d’accident du travail imputable à la faute intentionnelle de l’employeur (arrêt du 7 mai 2009).

 

 

III La seconde Exception permettant une réparation intégrale de la victime : l’accident provoqué par un tiers responsable

 

L’article L454-1 du code de la sécurité sociale autorise la victime d’un accident du travail ou de trajet provoqué par un tiers à bénéficier d’une réparation selon les règles du droit commun.

 

Tel est notamment le cas en présence d’un accident de la circulation.

 

Toutes les victimes d’un accident de la circulation constituant un accident du travail ou de trajet ont le droit d’obtenir du conducteur du véhicule impliqué l’indemnisation de son entier préjudice, sans que puisse lui être opposé la faute de l’employeur ou de son préposé.

 

Rappelons qu’un véhicule est « impliqué » dans un accident de la circulation dès lors qu’il est intervenu à quelques titres que ce soit dans l’accident, et ce indépendamment de la problématique liée à la détermination du responsable de cet accident.

 

Dès lors, il est possible d’exercer une action en justice contre l’assureur du véhicule impliqué même si l’accident a pour cause exclusive le comportement de l’employeur.

 

La victime bénéficiera alors d’une « indemnisation intégrale » de son préjudice et plus seulement « de l’indemnisation complémentaire » spécifique à la faute inexcusable de l’employeur.

 

IV La notion d’ayants droit visée par l’article L 451-1 du Code de la Sécurité sociale

 

La portée de l’interdiction d’exercer un recours selon le droit commun édictée par l’article  L 451-1 du Code de la Sécurité Sociale dépend également de la définition des « ayants droit ».

 

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la notion « d’ayants droit » visée par cet article concernait, en cas d’accident mortel,uniquement les personnes énumérées par les articles L 434-7 à L 434-14 du code de la sécurité sociale, soit :

 

-       les conjoints, concubins ou personnes liées par un PACS

-       les enfants avec une filiation légalement établie

-       les ascendants à certaines conditions

 

Cette notion ne comprend donc pas :

-       les frères et soeurs de la victime ou ses oncles et tantes

-       les membres de la famille d’une victime d’un accident du travail qui a survécu a ses blessures

 

Ces personnes ont alors vocation à être indemnisées de leurs préjudices selon les règles du droit commun.

 

 

 

 

 

V La décision du conseil constitutionnel du 18 juin 2010, l’amorce d’un revirement de jurisprudence ?

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de Cassation d’une question de constitutionnalité portant sur la conformité des articles L 451-1 et L 452-1à L 452-5 du code de la sécurité sociale aux droits et libertés que la Constitution garantit.

 

Le demandeur critiquait les dispositions du code de la sécurité sociale qui ne permettaient pas une réparation intégrale du préjudice subi en cas de faute inexcusable de l’employeur.

 

Bien que le Conseil Constitutionnel ait mentionné que les dispositions des articles L 451-1 et L 452-2 à L452-5 du code de la sécurité sociale étaient conformes à la Constitution, il précisa que c’était sous la réserve de son considérant 18 libellé comme suit :

 

« qu’en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de ce texte (L452-3 énumérant la liste limitative de préjudice pouvant être sollicité) ne sauraient toutefois sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ».

 

Ce serait alors la fin de la seule indemnisation complémentaire de la victime d’un accident du travail et l’application de la nomenclature DINTHILHAC à ces victimes !

 

Il convient dès lors de soulever cet argument lors des demandes d’expertise présentées devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale et lors de la liquidation du préjudice des victimes.

 

Le 6 juillet 2010, une proposition de loi a été présentée par le sénateur Jean Pierre GODEFROY afin d’instaurer une réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’accident du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur.

 

Un nouveau débat pourrait alors s’instaurer devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale : l’objet de la rente accident du travail octroyé, débat qui a déjà fait couler beaucoup d’encre..... (cf mon article sur l’assiette de recours des tiers payeurs : l’histoire d’un « formidable » retour en arrière).

 

François LAMPIN

avocat au barreau de LILLE

 


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